Sensitivity Readers

Sensitivity Readers
Cela fait plusieurs semaines que je souhaite vous parler d’un sujet qui occupe le fond de la scène éditoriale française depuis six mois : celui des sensitivity readers.

Ce terme anglo-saxon désigne le métier, encore très inconnu en France, qui consiste à traquer dans une œuvre littéraire les préjugés ethniques et sexuels. Pour caricaturer, si vous rédigez un futur best-seller traitant d’une minorité, et que vous assignez à celle-ci de façon consciente ou inconsciente des stéréotypes, ou que vous passez à côté de la vie que mène au quotidien un individu de cette minorité, vous serez corrigé par un sensitivity readers avant sa publication. Si vous lisez Le voyant d’Étampes d’Abel Quentin, vous en aurez une parfaite illustration.

 

Il s’agit d’un sujet on ne peut plus polémique, au-delà de la « simple » question de la censure. Si vous êtes une personne blanche et que le protagoniste de votre roman est un individu noir, vous entrez en zone dangereuse. Étant donné que vous pensez comme la classe dominante, êtes-vous réellement en mesure de présenter aux lecteurs la vie d’un personnage d’une classe dominée sans écrire des clichés ? Mais la prise de tête va bien plus loin. Est-ce que la littérature doit absolument être conforme à la réalité ou a-t-elle le droit d’être représentative des clichés qui habitent la tête de celui ou celle qui écrit ? C’est un sujet sans fin, très représentatif de notre époque. Et encore, je simplifie à l’extrême le débat, bien plus confus et subtil que cela.

 

Aux États-Unis et depuis peu en Angleterre, il existe des sensitivity readersspécialisés dans le végétarisme, le mouvement LGBTQ+++, le féminisme etc. Ainsi, selon votre récit, vous pouvez choisir votre « lecteur sensible » à même de mieux reprendre l’éditorial de votre roman pour que celui-ci ne puisse pas injurier qui que ce soit. En France, on rigole jaune. Quoi ? Et la liberté d’expression alors ? Commencer à surveiller ce qu’on dit dans une fiction, à la virgule près, s’apparente pour beaucoup de littéraires et d’artistes en général à de l’obscurantisme.

 

Je reconnais ne pas savoir quoi penser. J’ai spontanément l’idée que le wokismenous casse les pieds, mais la lecture du livre d’Abel Quentin m’a bouleversée (et aussi ennuyée). Peut-être que je parle de wokismeparce que je suis blanche, hétérosexuelle, et diplômée ? Peut-être qu’en mettant la création au-dessus de tout, je passe à côté de véritables combats de société ? Et en même temps, n’est-ce pas normal qu’un auteur écrive de là où il est, et non de là où la morale voudrait qu’il soit ? Cependant, il est dangereux, au nom de la liberté d’expression, de laisser la porte ouverte à toutes les idées… Vous l’aurez compris, on tourne en rond, sans mesure.

 

Il y a trois mois, l’édition britannique a repris plusieurs ouvrages de Roald Dahl. Dans James et la Grosse Pêche, Tante Éponge n’est plus « terriblement grosse et flasque », mais « une vieille brute méchante ». Miss Trunchbull, la directrice d’école dans Matilda, n’est plus « une terrible femelle », mais une « terrible femme »

 

Tout ça pour dire que si vous cherchez un boulot dans l’édition, sachez que le métier de sensitivity reader vous tend les bras.

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